Variations faciles et brillantes

de Jean-Georges Kastner

 

Jean-Georges Kastner

(1811 - 1867)


Compositeur, critique et théoricien érudit, musicien polyinstrumentiste, membre de l'Institut de France, né à Strasbourg le 9 mars 1811. Il commence le piano à 6 ans, puis étudie de nombreux instruments en parallèle à ses études de composition, de musicologie et de philosophie. Il meurt à Paris le 19 décembre 1867.

Il compose 9 opéras (dont Le dernier roi de Juda en 1843), première œuvre à utiliser le saxophone à l'orchestre (saxophone basse), Trois symphonies et Cinq ouvertures pour grand orchestre, dix sérénades pour harmonie, 30 marches pour musique militaire, 10 œuvres vocales avec orchestre, un grand Sextuor pour saxophones des chœurs pour voix d'hommes. Outre ces Variations faciles et brillantes pour saxophone alto et piano, on lui doit aussi une Grande Méthode complète et raisonnée de saxophone, écrite sur les conseils de Sax, ainsi qu'une autre pour timbales et des Méthodes élémentaires de piano, d'harmonie, de clarinette, de cornet, de chant, de hautbois, de cor d'harmonie, de violon et d'ophicléïde. Mais c'est surtout à ses nombreux ouvrages théoriques qu'il doit sa renommée : Traité général d'instrumentation, Cours d'instrumentation, Grammaire musicale, Théorie abrégée du contrepoint et de la fugue, De la composition vocale et instrumentale, Tableau synoptique de lecture musicale, Tableaux analytiques des principes élémentaires de la musique, Tableaux analytiques de l'harmonie, Tableaux des principaux instruments et des voix, Manuel général de musique militaire, Les Danses des morts, Les Chants de la vie, Les Chants de l'armée française, La Harpe d'Éole et la musique cosmique, Les Voix de Paris, Parémiologie musicale. Son décès prématuré ne lui permettra pas de terminer son projet de grande Encyclopédie de la musique.

Kastner est unanimement apprécié au sein du monde musical parisien, comme en témoignent l’article que lui consacre Fétis dans sa Biographie Universelle des musiciens (voir ci-dessous).

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Variations Faciles et Brillantes
de Jean-Georges KASTNER
Première pièce écrite pour saxophone alto mi b avec accompagnement de piano en 1851, cette pièce historique est publiée par Brandus à Paris. Elle figure également à la fin de la célèbre Grande Méthode complète et raisonnée de saxophone publiée par Kastner chez le même éditeur. Adolphe Sax semble avoir eu un lien particulier avec cet érudit fortuné, esthète et mécène, qui démontre dans ces variations toute sa maîtrise de l’écriture pour les instruments à vent : articulations, ambitus et nuances sont rarement aussi bien employés à cette époque.
La pièce écrite en mi b majeur, débute par un Adagio, suivi du Thème de caractère martial, de 5 Variations et d’un Finale qui en constitue la 6ème. La première Variation explore un jeu d’arpèges en croches piquées et des fins de phrases monnayées en double-croches. La seconde propose des broderies en triolets, la troisième un jeu en double-croches, toujours conçu autour de la mélodie principale. La quatrième variation utilise principalement un rythme de croches doublement pointées - triples à la manière de l’Ouverture à la Française. La cinquième, Adagio Religioso, dans la tonalité relative de do mineur, constitue un moment de repos avant le final, qui prend l’option de doubler la vitesse du thème, et de lui adjoindre 3 nouveaux éléments thématiques (dont un andante sostenuto) et termine par une reprise du thème et une envolée finale qui n’est pas sans rappeler l’opéra Rossinien. 
Cette toute première œuvre de notre répertoire est de dimension inhabituelle : 519 mesures, pour près de 20 minutes de musique ... on devra attendre longtemps avant d’avoir une pièce de telles dimensions écrite pour saxophone !http://www.priceminister.com/offer/buy/1989982588/variations-faciles-et-brillantes-de-jean-georges-kastner.html

Fétis : Biographie Universelle des musiciens


Kastner (le docteur Jean-Georges) : compositeur, théoricien et laborieux musicien érudit, membre de l'Institut de France, est né à Strasbourg le 9 mars 1811. Ses heureuses dispositions et son penchant pour la musique se firent voir dès ses premières années. À l'âge de six ans, on lui donna un maître de piano ; pour qu'il pût jouer l'orgue les jours de fête à l'église d'un village voisin de Strasbourg. Déjà il suivait régulièrement les cours du Gymnase (collège) pour les études classiques. Il y recevait en même temps d'un bon maître des leçons de solfège et de chant. Ses parents ayant remarqué, vers cette époque, la tournure sérieuse de son esprit et sa prédilection pour la vie studieuse, conçurent le dessein de lui faire embrasser la carrière ecclésiastique. Le Jeune Kastner parut se conformer au vœu de sa famille, sans toutefois interrompre ses études pour l'art qui était pour lui l'objet d'une passion véritable : il redoubla de zèle pour acquérir de l'habileté dans le mécanisme du piano mais, ne se bornant pas à entendre exécuter et à jouer lui-même les œuvres des compositeurs renommés, il voulut essayer de traduire sur le clavier les idées qui germaient dans sa tête, et commença dès lors ses premières tentatives de composition. Les encouragements qu'il reçut de quelques artistes augmentèrent son ardeur. Persuadé de la nécessité de bien connaître le mécanisme et les ressources de tous les Instruments pour en faire un usage convenable, il se livra à l'étude de la plupart de ceux qui entrent dans la composition d'un orchestre, soit par des méthodes spéciales, soit à l'aide des conseils de divers artistes. C'est ainsi qu'il parvint à un certain degré de force sur quelques instruments, et que les autres lui devinrent assez familiers pour qu'il pût en jouer avec facilité. Kastner était parvenu à sa seizième année, lorsque en 1830 un traité d'harmonie et d'accompagnement ou, comme on dit en Allemagne, de basse générale, lui tomba sous la main, il le lut avec un vif intérêt, en médita les préceptes, comprit leur importance, et fit de nombreux essais pour les mettre en pratique. De ce moment date le développement progressif des idées de Kastner, concernant la théorie de l'harmonie, idées qui acquirent plus de précision et de netteté par la lecture et la comparaison des ouvrages les plus renommés parmi ceux qui avaient été publiés en Allemagne et en France.

Kastner, ayant terminé ses études du Gymnase en 1837, suivit les cours de la faculté des lettres, particulièrement le cours de philosophie de l'abbé Bautain, alors professeur à l'Académie de Strasbourg. Pendant les vacances de cette année, il écrivit une ouverture, des chœurs, des marches et entr'actes pour un drame en vers intitulé : la Prise de Missolonghi,  qui fut représenté avec succès, en 1829, sur le théâtre de Strasbourg. Les auteurs de cet ouvrage, poète et musicien, étaient âgés chacun de dix-neuf ans. Dans la même année, Kastner fut

reçu bachelier ès lettres. Lié d'amitié depuis deux ans avec le maître de chapelle M. Maurer, il en avait reçu des leçons d'instrumentation ;  ce fut aussi sous sa direction qu'il perfectionna son instruction dans tous les détails de la composition pratique. En 1830, le directeur de musique J.-C. Bühner lui enseigna le contrepoint double et la fugue. Dans l'impossibilité de s'occuper de musique pendant le cours des Journées qui étaient absorbées par des occupations étrangères à cet art, Kastner consacrait une partie des nuits à l'étude de la science musicale. Cependant il trouvait encore du temps pour composer divers morceaux, particulièrement des sérénades pour des voix d'hommes avec accompagnement d'instruments à vent, lesquelles étaient destinées à fêter les professeurs de la faculté, et qui étaient exécutées par les étudiants réunis à quelques artistes et amateurs.

En 1839, Kastner écrivit et fit représenter un grand opéra en cinq actes, Intitulé Gustave Wasa. En 1833, il écrivit un second ouvrage pour la scène allemande, sous le titre de la Reine des Sarmates, grand opéra en cinq actes, qui fut représenté avec succès sur le théâtre de Strasbourg, en 1838. Dans l'intervalle, il avait écrit aussi la Mort d'Oscar, grand opéra en quatre actes, et le Sarrasin, opéra comique en deux actes. Depuis longtemps il éprouvait le besoin d'exercer ses facultés sur un théâtre plus vaste et dans un milieu où son activité intellectuelle pût s'exercer en liberté. Ses vœux furent enfin exaucés au mois de septembre 1835, Kastner quitta Strasbourg pour se rendre à Paris. Les premiers artistes qu'il y connut furent Berton et Reicha (voyez ces noms), dont l'accueil plein de bienveillance et les conversations instructives encouragèrent les premiers efforts du jeune artiste.

Déjà, longtemps avant de quitter sa ville natale, Kastner avait réuni les matériaux de plusieurs ouvrages concernant la théorie de la musique, et jeté les bases d'un Traité général d'instrumentation ; quelque temps après son arrivée à Paris, il acheva ce livre, et le soumit à l'examen de l'Académie des beaux-arts de l'Institut, qui l'approuva et en fit un rapport favorable. L'ouvrage fut aussi adopté pour l'enseignement dans les classes du Conservatoire. La seconde partie de ce travail ne tarda pas à paraître sous le titre de : Traité de l'instrumentation considérée sous les rapports poétiques et philosophiques. Cette seconde partie fut également approuvée par la classe des beaux-arts de l'Institut et adoptée au Conservatoire. L'attention de Kastner s'était aussi fixée sur le système élémentaire de la musique, et sur les diverses parties qui concourent à ta réalisation de l'idée dans la composition, à savoir la mélodie, le rythme et l'harmonie. Il en coordonna les principes conformément à la génération de ses propres aperçus, et en forma la Grammaire musicale, divisée en trois parties, qu'il soumit à l'examen de l'Académie des beaux-arts de l'Institut, et qui fut approuvée dans la séance du 25 novembre1857. Postérieurement, il a fait des applications élémentaires et pratiques des mêmes principes dans des Tableaux analytiques des principes élémentaires de la musique ; Tableaux analytiques de l'harmonie ; enfin, dans une Méthode élémentaire de l'harmonie appliquée au piano. Le penchant qui portait Kastner à venir en aide à l'enseignement des diverses parties de la musique par les résultats de son expérience lui fit aussi mettre au jour, dans le cours de quelques années, douze méthodes élémentaires

pour le chant, le piano, le violon, le flageolet, la flûte, le cornet à pistons, la clarinette, le cor, le violoncelle, l'ophicléide, le trombone et le hautbois. À ces ouvrages, destinés à l'enseignement élémentaire de la musique vocale et instrumentale, il faut ajouter une Méthode complète et raisonnée de saxophone, famille complète et nouvelle d'instruments de cuivre à anches, inventée par Adolphe Sax, et une Méthode complète et raisonnée de timbales, à l'usage des exécutants et des compositeurs, précédée d'une notice historique et suivie de considérations sur l'emploi de cet instrument dans l'orchestre ; monographie curieuse, intéressante et nouvelle, soit au point de vue historique, soit comme méthode pour apprendre à jouer des timbales, soit, enfin, à cause des vues de l'auteur sur des nouvelles combinaisons de ce genre d'instrument. L'infatigable persévérance de Kastner à traiter tous les sujets de la didactique musicale où il croyait pouvoir produire des vues nouvelles s'est encore révélée dans une Théorie abrégée du contrepoint et de la fugue, et dans un Traité de la composition vocale et instrumentale, ou description détaillée des règles, des formes, de la coupe et du caractère de toute espèce de compositions musicales, accompagnée de notes historiques et critiques. Le premier de ces ouvrages a

été approuvé par l'Académie des beaux-arts de l'Institut de France, dans sa séance du 27 mars 1839, et l'autre l'a été par le même corps savant, le 2 avril 1842.

La théorie de l'art n'était pas le seul objet des réflexions de Kastner, il attachait surtout un grand intérêt à ses succès comme compositeur mais, en France, ceux-là s'obtiennent à grand'peine par les hommes nouveaux, et les difficultés sont plus sérieuses pour le musicien critique et théoricien que pour tout autre, lorsqu'il veut entrer dans la carrière de l'art pratique ; car tout le monde se souvient alors des blessures qu'il a faites ; directeurs de théâtre, chanteurs, artistes de l'orchestre, chacun se dit que le jour de la vengeance est arrivé, lorsque l'homme devant qui l'on tremblait vient à son tour se faire Juger et réclamer le concours de ceux que sa plume a touchés. Les difficultés dont je parle étaient grandes, surtout à l'époque où Kastner essaya d'aborder la scène lyrique car il n'y avait alors à Paris qu'un seul théâtre où l'on put se faire connaître ; qu'un seul orchestre, réservé aux compositeurs illustres. II avait écrit en 1839 Béatrice, opéra destiné aux théâtres de l'Allemagne, et bien accueilli partout où il avait été représenté, mais à Paris, ce ne fut qu'avec peine qu'il obtint le livret de la Maschera, ouvrage en deux actes, assez peu musical, et dont, par malheur, l'auteur était mal avec le directeur de l'Opéra-Comique. De là mille obstacles qui, surmontés à la fin, laissèrent arriver le jour de la représentation, le 17 juin 1841. En dépit de beaucoup d'intrigues et de mauvais vouloir, la Maschera réussit, et le succès fut assez bien constaté, pour que la grande partition fut gravée. Sans parler du mérite de la facture, qui est incontestable dans toutes les productions musicales de Kastner, on remarque dans la partition de la Maschera des idées mélodiques, de la grâce et le sentiment de la scène. Le Dernier Roi de Juda, grand opéra biblique français en quatre actes, écrit en 1843, n'a pas été représenté, mais il a été exécuté, le 1er décembre 1844, dans la salle du Conservatoire de Paris, par de bons chanteurs et par un orchestre d'élite, dirigé par Habeneck. L'ouvrage, bien interprété, a produit une vive impression sur le public, et les journaux lui ont accordé beaucoup d'éloges. Un des meilleurs critiques-musiciens de cette époque a écrit au sortir de l'audition : "La composition de M. Kastner réunit l'abondance des idées à la pureté classique, à ce savoir qui tire parti d'une pensée musicale, sans la réduire à la forme exiguë d'une imitation incessamment ramenée, de manière à faire naître l'ennui par la monotonie". Un très-grand nombre de compositions vocales et instrumentales de tout genre a été produit par Kastner : une partie de ces ouvrages a été publiée ; les autres sont encore inédits : on en trouvera l'indication ci-après.

Dans la double direction des travaux de Georges Kastner jusqu'à la fin de 1844, et dans la critique musicale où il était entré avec activité, il y avait de quoi remplir l'existence d'un artiste ; mais son goût passionné pour tout ce qui tient à l'art, et l'indépendance absolue que lui assure sa position de fortune, lui ont fait trouver te temps nécessaire pour se livrer à des recherches approfondies sur l'histoire de la musique. Sa connaissance des langues anciennes et des littératures allemande, française et italienne, mettaient à sa disposition tous les éléments nécessaires à ses travaux en ce genre. Les ouvrages qu'il a publiés dans l'espace d'environ douze ans, jusqu'au jour où cette notice est écrite, lui assurent une place très-honorable parmi les historiens de la musique et les philologues : ajoutons qu'ils se distinguent par l'originalité des sujets. Le premier en date a pour titre Manuel général de musique militaire à l'usage des armées françaises, comprenant

l'esquisse d'une histoire de la musique militaire chez les différents peuples, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours.

la nouvelle organisation instrumentale prescrite par l'ordonnance ministérielle du 12 août 1845

la figure et la description des instruments qui la composent, notamment des nouveaux instruments de M. Adolphe Sax;

quelques instructions sur la composition et l'exécution de la musique militaire. Paris, typographie de Firmin Didot frères, 1848, un volume in-4° de 410 pages, avec seize planches lithographiées de figures d'instruments, et cinquante-cinq pages de musique contenant les sonneries et batteries de divers États européens. D'intéressants renseignements historiques ont été réunis dans le premier livre de cet ouvrage, et les sources y sont toujours indiquées avec beaucoup de soin. Le deuxième livre renferme des documents et des résultats d'expériences très-utiles sur ces objets : 1° Réorganisation des musiques régimentaires. 2° Réformes accomplies. 3° Propositions nouvelles. Enfin, dans le troisième livre se trouvent de bonnes instructions pour la composition et l'exécution de la musique militaire.

Au livre dont il vient d'être parlé, succéda un ouvrage dont l'objet semble étranger à la musique, mais qui néanmoins se rattache à son histoire par des recherches sur les instruments du moyen âge ; cet ouvrage a pour titre Les Danses des morts ; dissertations et recherches historiques, philosophiques, littéraires et musicales sur les divers monuments de ce genre qui existent tant en France qu'à l'étranger; accompagnées de la Danse macabre, grande ronde vocale et instrumentale, paroles d'Edouard Thierry, musique de Georges Kastner, etc. Paris, Brandus, 1852, un volume grand in-4° de 310 pages, avec vingt planches lithographiées dont la plupart renferment des figures d'instruments de musique, et terminé par la ronde de la Danse macabre, en quarante-quatre pages de partition. L'analyse de la partie philologique et littéraire de ce savant ouvrage, rempli des recherches les plus curieuses, ne peut trouver place ici ; mais les vingt-deux chapitres de la deuxième partie offrent un grand intérêt historique aux amateurs de l'archéologie musicale, par des discussions scientifiques où règne une érudition solide, concernant les instruments du moyen âge. À l'égard de la Danse macabre qui termine le volume, c'est une production originale dans sa forme, bien écrite, et remarquablement instrumentée.

Deux ouvrages, qui sont à la fois des recueils de compositions pour des voix d'hommes et des histoires à divers points de vue du chant choral pour les masses viriles, ont été publiés par M. Kastner à peu de distance l'un de l'autre : le premier est intitulé Les Chants de la vie, cycle choral ou recueil de vingt-huit

morceaux à quatre, à cinq, à six et à huit voix pour ténors et basses, avec accompagnement de piano ad libitum ; précédés de recherches historiques et de considérations générales sur le chant en chœur pour voix d'hommes. Paris, Brandus et comp., 1854, un volume grand in-4° de V et 110 pages de texte et de 112 pages de musique en partition. Les chants, partie la plus importante de l'ouvrage pour les artistes, sont considérés en général comme une des productions les plus distinguées qui aient été publiées en France pour le chant en chœur de voix d'hommes ; il y règne une grande franchise de mélodie, beaucoup de variété de caractères et de rythmes, et de plus une pureté irréprochable dans l'harmonie.

Après quelques considérations générales sur les chœurs d'hommes en général, la partie littéraire de l'ouvrage renferme une histoire des sociétés chorales de ce genre, dont Kastner trouve la première trace en 1673, dans la ville de Greiffenberg en Poméranie, mais qui n'ont eu d'existence solide qu'après que la première Liedertafel de l'Allemagne fut fondée, en 1808, à Berlin, par Zeller (voyez ce nom). La seconde partie de cette introduction traite :

De l'étendue et des propriétés des voix d'hommes; de l'emploi et de la distribution des voix dans les chœurs d'hommes sans accompagnement ; de la manière d'écrire les chœurs pour voix d'hommes sans accompagnement et des moyens d'y répandre de l'intérêt et de la variété ; de la diversité de formes des chants de celle espèce; enfin de l'organisation des chœurs d'hommes sans accompagnement, et de l'exécution des morceaux de chant par les chœurs de cette espèce.

L'autre ouvrage a pour titre Les chants de l'armée française, ou recueil de morceaux à plusieurs parties composés pour l'usage spécial de chaque arme, et précédés d'un essai historique sur les chants militaires des Français. Paris, G.Brandus, Dufour et Comp., 1855, grand in-4° de 05 pages de texte et de

58 pages de musique. Les chants contenus dans ce recueil sont au nombre de vingt-quatre et tous à quatre parties, à l'exception du premier, qui est à cinq : leur caractère distinctif est la force du rythme réunie à la franchise des mélodies.

L'essai historique qui les précède est un morceau excellent en son genre : l'auteur s'y livre à des recherches intéressantes, où règne l'érudition sans pédantisme, sur les chants guerriers de la France, depuis ceux des bardes de la Gaule jusqu'à l'époque actuelle.

Les dernières productions de Kastner qui ont vu le jour jusqu'au moment où cette notice est écrite sont les plus originales par les

sujets et par la forme. La première en date est intitulée La Harpe d'Éole et la musique cosmique ; études sur les rapports des phénomènes sonores de

la nature avec la science et l'art, suivies de Stéphen, ou la Harpe d'Eole, grand monologue avec choeurs. Paris, G.Brandus, Dufour et comp., 1856, un vol. grand in-4° de 160 pages, avec cinq planches de figures d'appareils sonores éoliens, et de 124 pages de partition contenant le monologue de Stéphen, mis en musique par Kastner, avec choeurs à huit voix et orchestre. L'ouvrage est divisé en trois parties. Dans l'introduction, l'auteur examine les questions historiques, musicales et scientifiques relatives à la harpe éolienne et réunit un grand nombre de passages, desquels il résulterait que certains sons, certaines harmonies que fait entendre la nature, seraient l'origine de la musique ce sont ces harmonies résultantes de certains phénomènes physiques que Kastner appelle la musique cosmique. Ce sujet le conduit à l'examen des imitations de choses naturelles par la musique.

La première partie du livre renferme des recherches sur la doctrine ancienne de l'harmonie des sphères, sur les phénomènes sonores observés en différents pays, sur l'écho, les harmonies des grottes, rochers et cascades, et les légendes basées sur les phénomènes de ce genre. La seconde partie du livre a pour objet spécial et particulier la harpe éolienne, les observations faites en divers temps et divers lieux sur ses phénomènes, les opinions diverses sur ses effets, la description des formes de ces sortes d'appareils sonores, et les observations auxquelles ils ont donné lieu. La troisième partie entre d'une manière plus générale dans l'examen de tous les faits acoustiques de quelque nature qu'ils soient, les rapports directs ou indirects de ces faits avec la musique en tant qu'art, et les instruments construits en divers temps pour la production des sons par un courant d'air sur des cordes, des lames, ou simplement sur des orifices diversement disposés.

Laissant à part le penchant que fait entrevoir Kastner à accorder aux créations musicales de l'homme une origine cosmique, origine contre laquelle je me suis de tout temps prononcé, et ne considérant l'objet du livre qu'au point de vue de la science de l'acoustique, et des faits remarquables ou curieux qui sont de son ressort, il n'y a que des éloges à donner au savoir, à l'immense lecture que révèle

le livre de Kastner, et à la sagacité de ses propres observations. Un autre mérite se fait remarquer dans la composition de la cantate intitulée Stéphen ou la Harpe d'Éole, qui termine le volume : ce mérite est l'originalité de la conception et la nouveauté des effets produits par l'instrumentation.

Un autre ouvrage mis au jour par le laborieux auteur de tant de productions si diverses et qui fait naître autant d'étonnement par l'originalité de l'idée que par la patience des recherches, a pour titre Les Voix de Paris, essai d'une histoire littéraire et musicale des cris populaires de la capitale, depuis le moyen âge jusqu'à nos jours. Précédé de considérations sur l'origine et le caractère du cri en général, et suivi d'une composition musicale intitulée les Cris de Paris, grande symphonie humoristique vocale et instrumentale (Paris, G. Brandus, Dufour et Cie, 1857, un volume gr. ln-4° de cent trente-six pages, avec vingt-sept planches de cris des marchands et des colporteurs de Paris notés, et suivi de la symphonie humoristique en cent soixante-onze pages de partition). La division de cet ouvrage singulier est celle-ci

1° Introduction philosophique et historique concernant le caractère moral et physiologique du cri, et sur certains cris en usage à des époques diverses et en différentes contrées; 2° les cris de Paris au moyen âge ; les cris de Paris du

quinzième au dix-huitième siècle 3° les cris de Paris depuis le commencement du dix-huitième siècle jusqu'à nos jours ; 4° les cris de Paris pendant les époques révolutionnaires 5° les cris de Paris à l'époque actuelle et leur classification par

les différents métiers. L'analyse de la symphonie humoristique qui termine le volume serait trop longue pour cet article mais je lui dois cette justice de déclarer que c'est le morceau de musique imitative le plus original qui eût été produit jusqu'à ce jour, et qu'il renferme beaucoup de choses de l'effet le plus

heureux.

Un an après la publication de son livre intitulé les Voix de Paris, Kastner fit paraître un travail non moins curieux et non moins étendu, sous le titre suivant Les Sirènes, essai sur les principaux mythes relatifs à l'incantation, les enchanteurs, la musique magique, le chant du cygne, etc., considérés dans leurs rapports avec l'histoire, la philosophie, la littérature et les beaux-arts; ouvrage orné de nombreuses figures représentant des sujets mythologiques tirés des monuments antiques et modernes, et suivi du Rêve d'Oswald ou les Sirènes, grande symphonie dramatique vocale et instrumentale, Paris, G. Brandus et S. Dufour, 1858, 1 vol. gr. in-4°. Dans les travaux entrepris par M. Kastner et exécutés avec une érudition peu commune, depuis environ dix ans, on remarque un penchant prononcé pour le merveilleux.

Les Danses des morts, la Harpe d'Eole et les Sirènes en sont les produits.

II aime à explorer le monde surnaturel; il sait donner de l'intérêt à ses recherches sur ces sujets fantastiques, et l'on y apprend beaucoup de choses que peu de personnes auraient la patience et la volonté de chercher dans une immense quantité de volumes. Par exemple, le cadre du livre des Sirènes, qui n'aurait fourni à tout autre écrivain que l'occasion de quelques pages, on même quelques

lignes, comme l'article Sirènes de la Biographie mythologique de Parisot, ce sujet, dis-je, est pour M. Kastner l'occasion d'un livre considérable et digne d'exciter la curiosité, par les rapprochements ingénieux qu'il sait faire entre les traditions fabuleuses de tous les temps et de tous les pays. La première partie de son livre est toute mythologique, mais il n'en est point ainsi du premier chapitre de la seconde partie, lequel a pour titre les Sirènes d'après les historiens et les voyageurs. L'auteur n'y admet pas à la rigueur le proverbe "A beau mentir qui vient de loin" ; du reste, ce même chapitre est fort intéressant. Dans la troisième partie de son ouvrage M. Kastner aborde le domaine musical de son sujet, et le traite avec tous les développements désirables dans les trois chapitres 1° Musique des Sirènes ; 2° les Enchanteurs et la musique magique ; 3° le Chant du cygne. La matière y est épuisée avec un savoir remarquable. La symphonie dramatique intitulée le Rêve d'Oswald ou les Sirènes, qui forme la seconde partie du volume, est à vrai dire tout un opéra composé de onze morceaux de différents caractères. Cet œuvre se distingue par la richesse de la réunion des voix et des instruments, ainsi que par la variété des effets de sonorité. On y trouve des airs, romances, duos, chœurs, dont un de jeunes filles avec un quatuor, morceau d'une heureuse conception. La partition de cet ouvrage présente un ensemble de plus de deux cents pages.

Enfin, une dernière production bien remarquable de Kastner a pour titre Parémiologie musicale de la langue française, ou explication des proverbes, locutions proverbiales, mots figurés qui tirent leur origine de la musique, accompagnée de recherches sur un grand nombre d'expressions du même genre empruntées aux langues étrangères, et suivie de la Saint-Julien des ménétriers, symphonie cantate à grand orchestre, avec solos et chœurs (Paris, G.Brandus,et S. Dufour, 1862, gr. in-4°). La conception d'un pareil livre est une des originalités de l'esprit qui a imaginé et exécuté ceux dont il vient d'être parlé. Au simple énoncé du sujet, il est difficile de comprendre qu'il puisse être la matière d'un livre, et ce n'est que dans l'ouvrage lui-même qu'on en saisit l'étendue. Le plan de l'auteur est des plus vastes; il ne faut pas moins que sa grande érudition pour le réaliser. Pour en donner un aperçu, il suffit de rappeler quelques-unes des expressions proverbiales les plus familières, par exemple Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son ; ce qui vient de la flûte s'en retourne au tambour ; faire sonner la trompette de la renommée ; payer les violons et cent autres semblables. Dans ces dictons, en apparence si simples, il y a pour l'esprit investigateur de Kastner occasion de déployer autant de sagacité que de savoir. Ainsi, pour le premier de ces proverbes, il se pose cette question Qu'est-ce qu'une cloche ? Il fixe l'étymologie du mot, recherche l'origine de la chose, en fait l'histoire et en classe toutes les variétés, depuis le bourdon des cathédrales jusqu'à la clochette et au grelot, rapporte à chacune les expressions populaires où elles figurent, et prodigue à pleines mains les documents relatifs au sujet, et la critique historique la plus solide. De même de la flûte, du tambour et du violon. Chaque chose, chaque mot technique a son chapitre particulier où la matière est épuisée, Les chapitres Chanson et Danse, à propos des adages où ces mots trouvent leur place, offrent un intérêt historique plein d'attrait. La didactique elle-même est explorée par Kastner en homme qui en a fait une étude profonde ; ainsi à l'occasion de chanter à quelqu'un sa gamme (lui dire le mal qu'on pense de lui), le mot gamme a aussi sa dissertation particulière. Mais ce n'est pas aux seules expressions proverbiales de la France que s'attache l'auteur de ce livre si curieux, car l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont aussi, dans les mœurs et dans le langage de leurs populations, une multitude de choses qui tirent leur origine de la musique. La connaissance que possède Kastner des langues de ces contrées lui a permis de faire aussi des recherches sur les locutions proverbiales puisées dans le vocabulaire de cet art.

On se tromperait si l'on se persuadait que l'auteur de la Parémiologie musicale ne s'est proposé pour but que de satisfaire un intérêt de curiosité; car, en faisant voir la place considérable qu'a toujours occupée la musique dans le langage populaire, il a voulu démontrer la sympathie universelle des peuples pour ce même art, qui les console de leurs misères. Comme dans ses œuvres antérieures, brillantes d'érudition sur des sujets originaux, Kastner a placé à la suite de son travail littéraire une application musicale du même sujet dans une symphonie cantate à laquelle Il a donné pour titre le Saint-Julien des Ménétriers ; composition originale, développée sur un poème de M. Edouard Thierry.

A ces travaux si considérables par leur étendue, par les recherches qu'ils ont exigées, et qui se sont succédé en si peu de temps, il faut ajouter le travail immense, effrayant, d'une Encyclopédie de la musique, entreprise par Kastner sur le plan le plus vaste et à laquelle il travaille depuis plus de dix ans. On s'étonne qu'un seul homme puisse suffire à tant de choses, surtout quand on considère que cet homme a fourni une multitude d'articles à la Gazette musicale de Paris, au Ménestrel,a la Revue étrangère, à l'Iris de Rellstab, à l'ancienne

Gazette musicale de Leipsick, à la nouvelle Gazette de la même ville, fondée par

Schumann, aux Annales de l'Association musicale allemande, au Journal musical de Vienne, à la Revue des Dilettantes de Carlsruhe, à la Cæcilia, à la Revue musicale de Mannheim, au Dictionnaire universel de musique publié par Schilling. Cette existence si laborieuse, si honorable et si utile a été récompensée par les distinctions et titres honorifiques dont voici l'indication : Kastner a reçu de l'Université de Tübingue le diplôme de docteur en philosophie et en musique ; il est membre associé de l'Académie des beaux-arts de l'Institut de France ; membre de l'Académie royale des beaux-arts de Berlin ; de l'Académie de Sainte-Cécile, à Rome; membre correspondant de la Société Néerlandaise pour l'encouragement de la musique ; membre de mérite de l'Association musicale allemande, chevalier de la Légion d'honneur ; officier de la Couronne de chine du roi des Pays-Bas, décoré de l'Ordre royal de l'Aigle rouge de Prusse, 3ème classe ; chevalier de l'Ordre royal de Charles III d'Espagne et de l'ordre d'Ernest de Saxe-Cobourg et Gotha ; honoré de la médaille d'or pour les sciences et les arts, décernée par S.M. le roi de Prusse, etc. Kastner a été un des premiers fondateurs de l'Association des artistes musiciens, dont il est vice-président.


(Liste des œuvres).

Femme distinguée par les qualités du cœur et de l'esprit, et dont l'instruction variée est supérieure à celle de la plupart des personnes de son sexe qui se sont fait un nom dans la littérature, madame Kastner a cultivé les arts avec amour depuis sa première jeunesse. Fille d'un riche propriétaire dont le nom a été donné à l'une des rues de Paris, elle n'a pas cherché dans tes avantages de la fortune les jouissances de la vanité c'est dans sa famille qu'elle a placé les siennes. S'associant aux travaux de son mari, elle y prend un vif intérêt et trouve son bonheur dans l'estime accordée à ses ouvrages ainsi qu'à son caractère honorable.



Et dans le Supplément II


Kastner (Jean-Georges), est mort à Paris le 19 décembre 1867. (... citation pour la nécrologie publiée par la Revue et Gazette Musicale de Paris, qui évoque le 58° ci-dessus ...)

Nonobstant l'intérêt qui s'attache à ces travaux, on ne peut s'empêcher de regretter qu'ils aient interrompu ceux de Kastner pour l'achèvement du grand dictionnaire de musique dont il s'occupa pendant près de vingt années, et auquel il donnait le titre d'Encyclopédie musicale. Esprit véritablement encyclopédique, nul n'était plus capable que lui de remplir ce vaste cadre de l'art et de la science des sons. Possédant toutes les connaissances nécessaires et familiarisé  avec les langues anciennes et modernes, armé d'ailleurs d'une patience infatigable, il aurait , sans doute, produit un livre bien supérieur à ceux de Schilling et de Bernsdorff. Ayant amassé d'immenses matériaux pour la réalisation de cette grande entreprise, il y attachait l'importance qu'elle mérite, mais il en ajournait la terminaison, persuadé sans doute qu'il était encore éloigné de l'époque où il faut compter avec la mort.

Nécrologie (dans «Le Ménestrel» du Dimanche 29 Décembre 1867)


GEORGES KASTNER


Les obsèques de Georges Katsner ont été dignes des mérites de cet homme de bien et de science. Chacun s'est souvenu des services rendus : les artistes ont compris qu'ils perdaient en Georges Katsner l'un de leurs plus vaillants soutiens, et le deuil a été général. MM. Auber, Ambroise Thomas et tous les professeurs du Conservatoire sont venus payer leur tribut de regrets, non-seulement à l'ami le plus sûr, le plus dévoué, mais aussi au membre le plus zélé de tous les comités de l'école. Le général Mellinet s'était joint à MM. Auber et Ambroise Thomas dans l'accomplissement de cette double manifestation. De son côté, l'Académie des Beaux- Arts, par la voix de son président, M. Lefuel, est venue rendre hommage à l'un de ses membres les plus actifs et les plus éclairés. Nous regrettons de ne pouvoir communiquer à nos lecteurs les paroles élevées prononcées avec tant de conviction par M. Lefuel. Mais voici le témoignage de reconnaissance exprimé par M. le baron Taylor, sur la tombe du regretté

Georges Kastner, au nom de l'Association des artistes musiciens :

« ... une des plus grandes qualités de cet esprit supérieur, ce fut la bonté de son coeur. Il avait eu le bonheur d'entrer dans une famille qui possédait de la célébrité et de la fortune, et d'y trouver une compagne digne, par ses vertus et son esprit, de le rendre heureux. La fortune que Kastner acquit par celte union, il en fit toujours le plus noble usage. Que de bienfaits il a répandus ! Que d'infortunes dans la société des artistes musiciens il nous a aidés à secourir !

Qu'il entende, au fond de ce cercueil, dans ce moment si solennel la voix qui exprime notre profonde reconnaissance. Au nom de tous les artistes dont il a soulagé les misères, qu'il reçoive aujourd'hui l'expression de nos suprêmes regrets, de notre éternelle gratitude et de nos douloureux adieux !

Un même témoignage a été rendu en ces termes par M. Elwart : «. Véritable père des musiciens et le frère de tous ceux qui souffrent, Georges Kastner leur donna, même sur son lit de douleurs, des preuves de sa charité prévoyante. Il avait la pudeur de la charité, et, jouissant d'une grande fortune, ressentait une sympathie innée pour ces intéressants artistes dont l'aisance n'est pas à la hauteur du caractère et du talent.

Puis l'abbé Coquerel, par deux fois, a pris la parole avec une autorité pleine d'onction et de lumière. Il a dit de consolantes choses au delà comme en deçà de la tombe; il a spirilualisô l'art de façon à en faire une seconde religion. Sa parole éloquente a ému tous les assistants.

Le deuil était conduit par les deux fils et le frère de Georges Kastner. MM. Auber, Ambroise Thomas, Lefuel et le baron Taylor tenaient les cordons du char funèbre, suivi de la musique de la 9e subdivision de la garde nationale, qui avait aussi délégué une garde d'honneur.

Georges Kastner était officier de la Légion d'honneur.

Au cimetière de l'Est, après les derniers adieux, la fanfare de M. Adolphe Sax a exécuté l'élégie de l'Artiste mourant, des Chants de la Vie, du si regrettable et si regretté défunt.

Et maintenant que chacun a payé son tribut de regrets à l'artiste homme de bien, enlevé d'une façon si douloureuse et si prématurée à l'art musical, à sa famille et à ses amis, passons la parole à l'historiographe. Et la biographie de celui que nous pleurons tous, prenons-la, toute palpitante encore, dans ce livre monumental que vient de publier la librairie Hachette, et qui a pour titre : Les Musiciens célèbres depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours. Quelques pages bien senties y sont adressées à Georges Kastner par l'auteur, M. Félix Clément ; pourquoi faut-il que cet hommage arrive pour fermer une tombe !

J.-L. H.Le Ménestrel Dimanche 29 Décembre 1867


NOTICE BIOGRAPHIQUE


C'est au milieu d'une civilisation avancée, après l'audition d'une foule de chefs-d'œuvre, lorsque la musique commence à se faire vieille, comme me le disait le regrettable Halévy, c'est à une époque où la synthèse peut être faite avec utilité et peut donner naissance à des idées générales, c'est maintenant, en un mot, que la place de l'historien est marquée, que son rôle est nécessaire, pour nous montrer tout le chemin parcouru depuis la naissance des arts, et pour nous intéresser aux efforts, aux luttes et aux découvertes des pionniers qui ont frayé la roule. Cette tâche de l'historien et du philosophe, M. Georges Kastner l'a remplie avec autant de zèle que d'érudition. Mais il avait en lui de quoi faire plus encore. Musicien excellent et compositeur, homme doué d'un cœur ardent et dévoué, il a pu détourner ses regards du passé et interroger l'horizon, faire servir l'expérience des siècles au progrès de l'avenir. N'est-ce pas le but de la vraie science en même temps que la marque d'un esprit élevé et généreux ?

Le docteur Jean-Georges Kastner naquit à Strasbourg, le 9 mars 1811.

Il commença l'étude du piano dès l'âge de six ans et se rendit en peu de temps assez habile pour pouvoir toucher de l'orgue les jours de fête à l'église d'un village voisin de sa ville natale. Tout en suivant les cours d'humanités au gymnase, il étudiait le solfège, se perfectionnait dans la connaissance du piano, s'essayait même déjà à la composition, et acquérait la pratique des divers instruments de l'orchestre. En 1826, il s'adonna plus particulièrement à l'étude de l'harmonie, et, à partir de cette époque, il consacra à la musique une grande partie de sa vie. En 1827, l'éducation classique de M. Kastner était terminée. Deux ans après (1829), le théâtre de Strasbourg représenta la Prise de Missolonghi, drame en vers, pour lequel le jeune artiste avait écrit une ouverture, des chœurs, des marches et des entractes. Quelques mois après, la Faculté le reçut bachelier ès lettres. Le maître de chapelle Maurer, qui lui avait déjà donné des leçons d'instrumentation, compléta ses connaissances au point de vue de la composition pratique, et, en 1830, Bühner lui enseigna le contre-point double et la fugue. Bien que l'artiste fût alors préoccupé d'études étrangères à la musique et qui tiennent peut-être au désir qu'avaient ses parents de le voir embrasser l'état ecclésiastique, il n'en trouvait pas moins le temps de composer plusieurs morceaux, tels que des sérénades en l'honneur des professeurs de l'Académie.

De 1832 à 1835, M. Kastner écrivit trois grands opéras allemands : Gustave Wasa, la Reine des Sarmates, la Mort d'Oscar, et un opéra-comique, le Sarrasin. Ces ouvrages avaient été bien accueillis du public strasbourgeois, mais le compositeur se sentait animé d'une ambition plus haute que celle des succès de clocher. Paris était le seul lieu où son talent pût se déployer à l'aise ; il s'y rendit donc au mois de septembre 1835.

Ce fut comme théoricien qu'il se fit d'abord connaître en publiant son Traité général d'instrumentation. Ce livre obtint l'approbation de l'Institut et fut adopté pour l'enseignement du Conservatoire. La même faveur s'attacha à la seconde partie du travail de M. Kastner, intitulée : Traité  de l'instrumentation considérée sous les rapports poétiques et philosophiques. D'autres publications didactiques se succédèrent à peu d'intervalle, et toutes jouirent d'une estime méritée. Nous citerons une Grammaire musicale, une Théorie abrégée du contre-point et de la fugue, une Méthode élémentaire d'harmonie, un Traité de la composition vocale et instrumentale, divers travaux relatifs aux saxophones, des Tableaux analytiques des principes élémentaires de la musique, des Tableaux analytiques de l'harmonie, etc.

Lorsque le savant musicien, après avoir rendu tant de services à l'enseignement, voulut aborder la scène, il eut à lutter contre mille obstacles. Ce n'est pas impunément, en effet, qu'on passe de la critique et de la littérature musicales à la composition lyrique. On se trouve alors avoir pour adversaires tous les hommes dont la veille on s'était constitué le juge. Bien que son opéra de Béatrice (1839) eût réussi en Allemagne, M. Kastner eut beaucoup de peine à faire jouer, à l'Opéra-Comique, deux actes sous ce titre : La Maschera. L'ouvrage parut enfin, le 17 juin 1841. On en admira la facture, les idées mélodiques et le sentiment dramatique. Le Dernier roi de Juda, grand opéra biblique français en quatre actes, n'a été donné sur aucun théâtre, mais il a été exécuté aux applaudissements d'un auditoire d'élite, dans la salle du Conservatoire, le 1er décembre 1844. M. Georges Kastner a encore écrit divers morceaux de musique vocale, des scènes dramatiques, comme Sardanapale, la Veuve du Marin, le Nègre, le Proscrit ; Stéphen ou la Harpe d'Éole, grand monologue avec chœurs ; sans compter beaucoup de romances, de mélodies ou de nocturnes. La musique instrumentale lui doit des symphonies, des marches, des ouvertures, etc.

Les travaux les plus intéressants de M. Georges Kastner sont, relatifs à l'histoire de la musique. Versé dans la connaissance des langues classiques, possédant en outre les principaux idiomes modernes, il était mieux que personne en état d'entreprendre des études qui demandent comme condition préalable le savoir exercé du philologue. Des ouvrages d'un genre aussi spécial trouvent peu de lecteurs, et l'auteur qui les publie avec des frais considérables ne doit pas s'attendre à rentrer dans ses déboursés. Cette menace suspendue sur la tête du laborieux érudit ne l'a point ébranlé : il a cru ne pouvoir mieux user de sa fortune qu'en la faisant contribuer à l'avancement de la science musicale. En écrivant son Manuel général de musique militaire à l'usage des armées françaises (Paris, 1848), M. Kastner ne s'est pas contenté de faire un livre utile aux musiciens de régiments : son ouvrage est encore et surtout un historique très-curieux de ce qu'a été la musique guerrière chez les diverses nations du monde, depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'époque actuelle. Quand il arrive à ces dernières années, l'auteur, zélé pour le perfectionnement des instruments, consacre aux inventions de M. Sax de nombreuses pages qui ne sont pas les moins intéressantes de ce Manuel. Enfin, pour parler aux yeux en même temps qu'à l'esprit, M. Kastner fait suivre son texte de planches où le lecteur apprend mieux que par des explications écrites ce qu'étaient le salpinx des Grecs, le lituus des Romains, la cithare des Hébreux, etc.

Les annales des différents peuples, soigneusement consultées, ont fourni les matériaux de ce vaste monument, possible seulement au dix-neuvième siècle, dans ce temps si avide de connaissances historiques. Le même désir d'arracher à l'oubli un passé précieux inspira ensuite à l'auteur ses recherches sur les Danses des Morts (1852). M. Paul Lacroix est ici dépassé de toute la distance qui sépare un bibliophile fantaisiste et frivole d'un érudit sérieux. L'écrivain traite en passant une foule de questions que le sujet appelait naturellement sous sa plume et qui se rattachent à la théologie, à la littérature, à l'esthétique et aux conceptions sociales du moyen âge; il reproduit la figure des instruments usités dans les rondes des Morts ; enfin, car il n'oublie jamais qu'il est artiste, il conclut son travail par un essai de danse macabre dont la musique, composée sur des paroles de M. Edouard Thierry, offre un curieux caractère d'archaïsme.

FÉLIX CLÉMENT.

Récapitulation des ouvrages de Kastner :


I.  Musique Dramatique

1° (1829) Ouverture, chœurs, marches et entr'actes de la Prise de Missolonghi, tragédie en cinq actes.

2° (1830) Ouverture, chœurs, marches et entr'actes de  Schreckenstein, drame en cinq actes.

3° (1831) Gustave Wasa, grand opéra allemand, en cinq actes.

4° (1832) La Reine des Sarmates, grand opéra allemand en cinq actes.

5° (1833) la Mort d'Oscar, grand opéra allemand en quatre actes.

6° (1834) Le Sarrasin, opéra comique allemand en deux actes.

7° (1839) Béatrice, grand opéra allemand en deux actes.

8° (1841) La Maschera, opéra comique français en deux actes.

9° (1846) N... opéra comique en trois actes, paroles d'Eugène Scribe (non représenté).

II. Musique instrumentale .

10° Trois symphonies à grand orchestre.

11° Cinq ouvertures à grand orchestre.

12° Dix sérénades pour harmonie.

13° Trente marches et pas redoublés pour musique militaire (infanterie et cavalerie). 

14° Grand sextuor pour saxophones,

14° (bis). Un grand nombre de morceaux pour divers instruments.

III. Musique vocale avec Orchestre.

15° Quatre hymnes avec chœurs et orchestre.

16° Deux grandes cantates avec accompagnement d'orchestre.

17° Sardanapale, grande scène dramatique avec orchestre.

18° Stéphen ou la Harpe d'Éole, grand monologue lyrique avec chœurs et orchestre (voyez ci-dessus).

19° Les Cris de Paris, symphonie humoristique avec solo de chant et chœur (voyez ci-dessus).

19°(bis) Rêve d'Oswald ou les Sirènes.

IV Musique Vocale avec accompagnement de Piano.

20° Introduction à la Bibliothèque chorale, ou vingt-quatre petits morceaux faciles à une et à deux voix pour les écoles. 2.1° Bibliothèque chorale ou vingt quatre duos, vingt-quatre trios et vingt-quatre quatuors à l'usage des pensionnats.

22° Suite de cantiques arrangés à trois voix.

23° Six choeurs à trois voix égales pour les pensionnats et les écoles de musique. 24° La veuve du marin, scène dramatique. 25° Le Nègre, idem. 26° Le Proscrit, idem. 27° Pensées d'amour, idem, 28° Le Barde, idem.

29° Judas Iscariote, Idem.

30° Grande cantate pour deux ténors et deux basses avec accompagnement de piano.

31° Un grand nombre de romances, mélodies et nocturnes.

V. Chants  et Chœurs pour voix d'hommes (avec piano ad libitum).

32° Heures d'amour, six quatuors allemands pour deux ténors et deux basses.

33° Chansons alsaciennes pour deux ténors et deux basses.

34° Les Chants de la vie, cycle choral ou recueil de vingt-huit morceaux à

quatre, à cinq, à six et à huit parties pour ténors et basses (voyez ci-dessus).

35° Les Chants de l'armée française, recueil de morceaux à plusieurs parties pour ténors et basses (voyez ci-dessus).

VI. Ouvrages didactiques.

36° Traité général d'instrumentation, etc.

37° Supplément au traité général d'instrumentation, etc.

38° Cours d'instrumentation considérée sous les rapports poétiques et philosophiques, etc.

39° Supplément au cours d'instrumentation, etc.

40° Grammaire musicale, etc.

41° Théorie abrégée du contrepoint et de la fugue, etc.

42° Méthode élémentaire d'harmonie, etc.

43° De la composition vocale et instrumentale, etc.

44° Douze méthodes élémentaires, etc.

45° Méthode complète et raisonnée de saxophone, etc.

46° Méthode complète et raisonnée de timbales, etc.

(Pour tous ces ouvrages, voyez ci-dessus).

47° Tableau synoptique de lecture musicale.

48° Tableaux analytiques des principes élémentaires de la musique.

49° Tableaux analytiques de l'harmonie.

50° Tableaux des principaux instruments et des voix, comprenant leur diapason, leur étendue et leur coïncidence.

VII. Littérature et Histoire de la Musique.

51° Manuel général de musique militaire etc.

52° Les Danses des morts, etc.

53° Les Chants de la vie, etc.

54° Les Chants de l'armée française, etc

55° La Harpe d'Éole et la musique cosmique, etc.

56° Les Voix de Paris, etc.

57° Les Sirènes, etc.

58° Parémiologie musicale, ou explication des proverbes, locutions proverbiales et mots figurés qui tirent leur origine de la mutique, etc.