Expériences de vol #8
Steve Reich - Reed Phase pour saxophone soprano & bande (1966), version avec ordinateur réalisée par Serge Bertocchi et Carl Faia. 9’14’’
Karlheinz Stockhausen - Solo III. Pour instrument mélodique et réinjection électronique (1965/1966), version pour saxophone soprano & ordinateur réalisée par Serge Bertocchi et Carl Faia
Jesper Nordin - Pendants I, II & III. Pour ensemble et électronique (2008-2009). Ensemble L'Itinéraire, dir. Dominique Dournaud. 28’10’’
Carol Robinson - Laima. Pour Cor de Basset & electronique (2008). Carol Robinson. 21’18’’
Archéo-musicologie de la Musique Mixte
Au départ de ce projet, une idée assez simple : la musique électroacoustique mixte, puis assistée par ordinateur en temps réel est née dans les grands studios et a été d’abord caractérisée par des nécessités matérielles considérables, inaccessibles au commun des mortels interprètes ... et d’abord par des défaillances techniques nombreuses et récurrentes, essentiellement dues à l’impossibilité pour les musiciens de s’approprier réellement le matériau musical extra-instrumental.
La plupart des oeuvres historiques sont ainsi rapidement tombées dans l’oubli en raison de l’obsolescence rapide du matériel et faute d’interprètes qualifiés et motivés.
La généralisation de la micro-informatique permet aujourd’hui à tout un chacun de bénéficier de la puissance de calcul qui n’était disponible que dans les grandes institutions il y a 20 ans et plus ... et les outils logiciels souples permettent de modéliser des machines lourdes, complexes à gérer et de transporter dans une mallette ce qui hier nécessitait un semi-remorque et un budget colossal.
Il m’est donc apparu intéressant de faire une tentative d’archéo-musicologie des débuts de la musique mixte, afin de redonner une deuxième vie à certaines pièces que je jugeais historiquement et musicalement intéressantes, et peu à peu constituer un petit répertoire de pièces accessibles à tous les musiciens curieux en faisant usage d’un matériel de base peu exigeant : un petit ordinateur portable muni de MAX/MSP, interfaces audio et midi, un pédalier ...
Je remercie les Studios Art Zoyd et Carl Faia d’avoir permis la réalisation technique et l’écriture des Patches MAX pour la réalisation pratique de ces 2 oeuvres et leur enregistrement pour le CD "Expériences de vol"#8".
SOLO de Karlheinz Stockhausen
Une pièce mythique : écrite en 1962, c’est la première œuvre musicale conçue pour un instrument monodique et réinjection électroacoustique. Elle se présente sous une forme assez inédite : 6 pages de musique, 6 pages de schémas formels et une trentaine de pages d’explications pour la réalisation techniques des 6 versions possibles, et les partitions correspondantes. Le compositeur y démontre une réelle virtuosité d’écriture puisqu’il parvient dès cette oeuvre à explorer la plupart des possibilités techniques de la réinjection, qui seront ensuite déclinées sans plus d’innovation pendant des dizaines d’années. La version informatique du schéma III proposée par Carl Faia permet au musicien de piloter directement les divers effets électroniques et le mixage du son direct et de la réinjection : il peut ainsi contrôler l’ensemble de la réalisation sonore du l’œuvre qui dépendait à l’origine de 4 assistants techniques et d’un matériel d’une complexité invraissemblable, qui n’est plus désormais en état de marche.
Reed Phase de Steve Reich
Après la démarche presque épistémologique de Stockhausen dans SOLO, d’une incroyable complexité et que l’on pourrait qualifier de maximaliste, Reed Phase propose un contrepied saisissant. Probablement inspirée par une conception orientale du temps, l’œuvre fait un usage extensif de la respiration circulaire et son propos se situe plutôt dans le domaine de la psycho-acoustique.
Première des 3 pièces de ce compositeur basées sur le déphasage sonore, c’est à la fois la plus simple (minimalisme oblige) et peut-être la plus radicale. Un simple cycle de 5 notes pentatoniques répété inlassablement se superpose à lui-même et le léger décalage progressif des voix provoque des illusions sonores proprement inouïes : percussions d’attaques (alors que le musicien joue un legato imperturbable), rythmes étranges (il n’y a pourtant que des croches régulières). La version originale fut jouée au saxophone, mais peut s’adapter à tout instrument à anche.
Karlheinz Stockhausen
Avec Pierre Boulez et Luciano Berio, c’est un des membres les plus remarquables de la génération des compositeurs d’avant-garde post-sérielle de l’après-guerre. Ses premières œuvres sont d’une remarquable modernité et utilisent de manière géniale et créative les possibilités alors toutes nouvelles du studio électroacoustique (ou électronique). Chacune de ses premières pièces est un véritable projet qui cherche à épuiser toutes les ressources d’un matériau donné, musical ou technique, et la plupart sont considérées comme des chefs d’œuvres. DIsparu récemment, il avait terminé un cycle de 7 opéras sur les jours de la semaine (Licht), et a laisse inachevé un cycle de pièces de musique de chambre sur le 24 heures du jour.
Steve Reich
L’un des membres fondateurs - et aussi l’un des plus célèbres aujourd’hui - de l’école minimaliste américaine, il choisit dans les années 1970 de se détourner de la complexité d’écriture qui caractérise l’école européenne et se tourne vers l’orient et sa conception particulière de la musique pour proposer une nouvelle approche de la modernité. Plus accessible au public, la musique des compositeurs minimalistes utilise des procédés musicaux volontairement simples : modalité, rythmes simples, répétition, harmonie ... s’opposent à l’atonalité, la complexité rythmique et formelle, les dissonnances caractéristiques de l’avant-garde.
Mais cela n’exclut pas une volonté d’exploration de l’inouï : l’effet hypnotique de la répétition en est un exemple ...
SB 2010