Alto Adolphe Sax 1868

 

Alto Adolphe Sax 1868

J’ai attaqué cette semaine le travail sur ce bel instrument Adolphe Sax remis à neuf récemment par Hervé Martin.


Petit retour d’expérience :


1°) J’ai pour le moment renoncé à jouer le bec d’origine en bois : beaucoup trop fermé pour moi, malheureusement. Malheureusement car le jeu complètement relâché qu’il implique a pour conséquence une sonorité très particulière, timbrée et boisée, qui le rapproche d’un son de basson. Cette piste restera donc à creuser quand les autres aspects seront résolus, et il y en a (voir ci-dessous) !! Un bel exemple des sonorités possibles est celui du CD d’Arno Bornkamp. Arno est parvenu à jouer un bec ancien car il a trouvé une manière spécifique d’envisager l’embouchure pour cela et aborde ce sujet sur son site. Pour le moment, j’ai choisi un bec Lelandais du début du XX° siècle, à chambre large, donc comparable au bec présent sur mon saxophone, mais dont j’ai augmenté l’ouverture pour correspondre à mes habitudes de jeu.


2°) On apprécie d’emblée la légèreté de l’instrument et sa justesse d’intonation. Avec le bec Lelandais, je parviens à obtenir une rondeur de son très intéressante : à la fois sombre et veloutée, mais avec une réserve de puissance liée à l’ouverture. Le confort de jeu est assez étonnant, si on ne franchit pas certaines limites tonales. Le grave, en particulier est d’une facilité d’émission déroutante ... De même, l’aigu est assez facile avec la 2° clé d’octave et toutes les nuances semblent possibles.


3°) Par contre, dès qu’on aborde des tonalités s’éloignant de do majeur (en mi b s’entend), on comprend tout l’intérêt de l’immense travail réalisé par les facteurs d’instruments depuis son invention. Je vais tenter ci-dessous une petite liste de difficultés techniques qui se présentent au prétendant ...


  1. a)La double clé d’octave : c’est évidemment l’un des aspects de différence les plus visibles de ces instruments antérieurs à la clé d’octave automatique. Le musicien doit s’habituer peu à peu à glisser le pouce d’une clé à l’autre en milieu de registre (à partir du la). Compte tenu de la tessiture de l’alto, il existe une petite marge d’incertitude permettant de jouer le la-sib avec la 1° clé, le sol#-sol avec la 2° mais au prix d’une sonorité un peu dégradée. Au-delà, mieux vaut y penser, sinon le son est particulièrement creux !

  2. b)L’absence de si b index est véritablement un handicap pour qui a appris à se servir presque exclusivement de ce doigté. Dans les arpèges ou les traits, ce recours au doigté de «trille de la» (Ta) complique passablement la fluidité du jeu. Mais ce point s’estompe finalement assez vite dans la pratique.

  3. c)De même, l’absence de fa# de côté (Tf) est assez vite acquise par le musicien, même si on regrette parfois cette innovation dans les passages chromatiques. Curieusement, ceux-ci ne sont pas rares dans la musique d’époque.

  4. d)Beaucoup plus délicat : le sol# est totalement indépendant, et n’est pas refermé par les doigts de la main droite (sur fa-mi-ré). Ce «petit détail» peut devenir une plaie sur un accord de septième diminuée. En particulier celui descendant en partant du si aigu : il faut successivement changer de clé d’octave et enlever le doigt du sol# pour jouer le fa. Beaucoup plus simple à écrire qu’à jouer !!

  5. e)Les rouleaux de passage entre les clés de grave (mib-do, si-do#) sont absents mais le répertoire fait rarement appel à cette difficulté. L’absence de si b grave aussi est un élément bien intégré par les compositeurs ... qui n’ont jamais connu autre chose. De fait, il semble assez logique d’arrêter le tube sur un ré (diapason) plutôt qu’un ré b.

  6. f)Le répertoire du XIX° siècle semble s’être adapté aux nouveautés : ainsi, les compositeurs utilisaient-ils souvent les techniques rendues possibles par les nouveautés inventées par les facteurs. C’était pour ces derniers une manière de démontrer la supériorité de leurs instruments et de rendre obsolètes les anciens modèles ... donc un enjeu économique non négligeable. Outre Sax, et après lui, Evette et Schaeffer, Millereau et d’autres ouvriront une section édition rattachée à leur fabrique d’instruments, répondant à leur souci d’éditer régulièrement ces pièces utilisant les nouvelles possibilités techniques des instruments.  Un exemple : la plupart des premières pièces sont toujours dans les mêmes tonalités de mi b majeur ou la b majeur ... un régal pour les pianistes accompagnateurs !


Voilà donc pour aujourd’hui (8/10/13) l’état des lieux de ce travail. Gageons qu’il y aura encore BEAUCOUP d’étapes intermédiaires avant de parvenir à des satisfactions musicales tangibles (Arno Bornkamp parle de 3 ans de travail, et ce  garçon est particulièrement doué, si je peux me permettre un avis personnel !!).

08/10/13